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hommes dont la vie n’a été qu’un long drame et qui sont taillés pour l’action, chez lui le souvenir tenait fort peu de place, il oubliait et croyait être oublié.

Ellen souffrait, elle était inquiète : cette existence sans issue et sans avenir n’avait que des désenchantements pour elle, puisqu’elle la condamnait à renoncer à ce bien suprême de toute créature humaine, l’espoir.

Cependant, de crainte d’affliger son père, elle renfermait avec soin dans son cœur sa tristesse pour ne lui présenter qu’un visage riant.

Le Cèdre-Rouge se laissait de plus en plus aller aux charmes de cette vie si douce pour lui. Si parfois le souvenir de ses fils venait troubler le repos dans lequel il vivait, il jetait les yeux sur sa fille, et la vue de l’ange qu’il possédait et s’était dévoué à son bonheur chassait loin de lui toute autre pensée.

Cependant le père Séraphin était plusieurs fois déjà venu visiter les habitants du jacal ; s’il avait été satisfait de la résignation avec laquelle le squatter avait accepté sa nouvelle position, la sourde tristesse qui minait la jeune fille n’avait pas échappé à ses regards clairvoyants. Son expérience du monde lui disait bien qu’un enfant de l’âge d’Ellen ne pouvait passer ainsi ses plus belles années dans la solitude, sans contact avec la société.

Malheureusement le remède était sinon impossible, du moins difficile à trouver ; le bon missionnaire ne se faisait point illusion sur ce point, et comprenait fort bien que toutes les consolations qu’il prodiguait à la jeune fille étaient en pure perte, que rien ne pouvait combattre efficacement l’état d’atonie dans lequel elle était tombée.

Ainsi que cela arrive toujours en pareil cas, le