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si, pendant le cours de la journée qui venait de s’écouler, un ou deux passants étaient entrés boire un verre de pisco[1] qu’ils avaient payé au plus vite, tant ils avaient hâte de sortir de ce repaire, malgré tous les efforts d’amabilité et toutes les agaceries de l’hôtelier, qui avait cherché vainement à les retenir afin de causer des affaires publiques et surtout pour égayer sa solitude.

Après les quelques mots que nous lui avons entendu prononcer, le digne don Benito se leva nonchalamment et se prépara, tout en maugréant, à fermer son établissement, afin, faute de mieux, de faire une économie de luminaire, lorsque tout à coup un individu entra, puis deux, puis trois, puis six, puis dix, puis enfin un nombre si considérable que le locandero renonça à les compter.

Ces hommes étaient tous enveloppés dans de grands manteaux ; ils avaient la tête couverte de chapeaux dont les larges ailes rabattues avec soin sur les yeux les rendaient complètement méconnaissables.

La salle se trouva bientôt encombrée de consommateurs buvant et fumant sans prononcer un mot.

Chose extraordinaire, bien que toutes les tables fussent garnies, il régnait un si religieux silence parmi ces buveurs étranges, qu’on distinguait parfaitement le bruit de la pluie tombant au dehors, et le pas des chevaux des serenos qui résonnait sourdement sur les cailloux ou dans les mares boueuses qui couvraient le sol.

L’hôtelier, agréablement surpris de ce retour imprévu de fortune, s’était joyeusement mis en devoir

  1. Eau-de-vie de grain, distillée dans la ville de Pisco.