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Deux mois environ après les événements que nous avons rapportés dans notre précédent chapitre, vers onze heures du soir, par une nuit froide et brumeuse, le señor Benito Sarzuela était mélancoliquement assis derrière son comptoir, contemplant d’un œil désolé la salle déserte de son établissement.

Le vent soufflant avec violence faisait grincer sur sa tringle, avec des plaintes sinistres, l’enseigne du Meson, et de lourds nuages noirs venant du sud roulaient pesamment dans le ciel en laissant par intervalle tomber de larges gouttes de pluie sur le sol détrempé par de précédents orages.

— Allons, murmura à demi-voix d’un air piteux le malheureux hôtelier, encore une journée qui finit aussi mal que les autres, sangre de Dios ! Depuis quelques jours, je n’ai plus de chance ; si cela continue encore seulement une semaine, je suis un homme ruiné.

En effet, par un hasard singulier, depuis un mois environ, la locanda del Sol était complétement déchue de son ancienne splendeur, sans que son propriétaire sût à quelle raison attribuer ce revirement malheureux.

On n’entendait plus dans la vaste salle affectée aux buveurs retentir le choc des verres et le bris des vitres et des pots que, dans la chaleur de leurs discussions, les bruyants consommateurs faisaient jadis si prestement voler en éclats.

Triste envers des choses humaines, le trop plein avait tout à coup été remplacé par le vide le plus complet.

On aurait dit que la peste régnait dans cette maison abandonnée : les bouteilles demeuraient méthodiquement rangées sur leurs rayons, et c’était à peine