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avait naturellement une clientèle un peu mélangée de gens de toute espèce : contrebandiers, rateros — filous — et autres, dont les façons risquaient de lui attirer des difficultés fâcheuses avec la police chilienne ; en conséquence, une baleinière constamment amarrée à un anneau planté au-dessous d’une fenêtre donnant sur la mer, offrait provisoirement un abri assuré aux consommateurs de l’établissement, lorsque par hasard les agents de l’autorité avaient la velléité de pousser une reconnaissance dans cet antre.

Cette maison se nommait et se nomme probablement encore aujourd’hui, si un tremblement de terre ou un incendie n’a pas fait disparaître cette hideuse tanière de la surface du terrain de Valparaiso, la Locanda del Sol.

Sur une plaque de fer pendue à une tringle et grinçant au moindre vent, était peinte, tant bien que mal, par un artiste du cru, une large face rouge entourée de rayons orange, dont la prétention était sans doute de donner l’explication de la légende mentionnée ci-dessus.

Le señor Benito Sarzuela, maître de la locanda del Sol, était un grand gaillard sec, maigre, à la face anguleuse, au regard sournois, métis croisé d’araucan, de nègre et d’espagnol, dont le moral répondait parfaitement au physique, c’est-à-dire qu’il réunissait en lui les vices des trois races, rouge, noire et blanche auxquelles il appartenait, sans posséder une seule de leurs vertus, et qu’à l’ombre d’un métier avoué et presque honnête il en faisait clandestinement une vingtaine, dont le plus innocent l’aurait conduit aux presidios — bagne — pour toute sa vie, s’il avait été découvert.