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d’aventure, j’avais eu comme vous le bonheur de rencontrer un ami qui eût consenti à m’initier aux mystères de ma nouvelle existence, ma fortune eût été faite cinq ans plus tôt. Ce que nul n’a fait pour moi, je veux le faire pour vous : peut-être plus tard serez-vous reconnaissant des renseignements que je vous aurai donnés, et qui vous auront appris à vous diriger dans le dédale inextricable où vous allez entrer. D’abord, posez-vous bien en principe ceci : les peuples au milieu desquels vous allez vivre sont vos ennemis naturels ; c’est donc un combat de chaque jour, de chaque heure que vous aurez à soutenir ; tous les moyens doivent vous être bons pour sortir victorieux de la lutte. Mettez de côté vos préceptes d’honneur et de délicatesse ; en Amérique, ce ne sont que de vains mots, inutiles même à faire des dupes, par la raison toute simple que nul n’y croit. Le seul dieu de l’Amérique, c’est l’or ; pour acquérir de l’or, l’Américain est capable de tout ; mais cela non comme dans notre vieille Europe sous des dehors honnêtes, et par des moyens détournés, mais franchement, en face, sans pudeur et sans remords. Ceci posé, votre ligne est toute tracée : pas de projet, si extravagant qu’il paraisse, qui n’offre dans ce pays des chances de réussite, puisque les moyens d’exécution sont immenses et presque sans contrôle possible. L’Américain est l’homme du monde qui ait le mieux compris la force de l’association ; aussi est-ce le levier au moyen duquel tous les projets s’exécutent. Arrivant là-bas, seul, sans amis, sans connaissance, quelque intelligent, quelque déterminé que vous soyez, vous êtes perdu, parce que vous vous trouvez seul en face de tous.