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confidences, pourquoi ne vous conterais-je pas la mienne ? Le temps est affreux, il pleut à torrents ; ici, nous sommes chaudement, nous avons du champagne et des regalias, deux excellentes choses lorsqu’on n’en abuse pas ; qu’avons-nous-de mieux à faire ? Rien, n’est-ce pas ? Écoutez-moi donc, car je crois que ce que je vous dirai vous intéressera d’autant plus que certains d’entre vous ne seront pas fâchés, j’en suis convaincu, de savoir enfin à quoi s’en tenir sur mon compte.

La plupart des convives éclatèrent de rite à cette boutade ; lorsque, leur hilarité fut calmée, le baron commença.

— Quant à la première partie de mon histoire, dit-il, je serai aussi bref que le comte. Dans le siècle où nous vivons, les gentilshommes se trouvent si naturellement hors la loi par la faute de nos préjugés de race et de notre éducation, que tous nous devons fatalement faire de la vie un rude apprentissage, en mangeant, sans savoir comment, en quelques années à peine, la fortune paternelle. Ce fut ce qui m’arriva, comme à vous tous, messieurs. Mes ancêtres avaient, au moyen âge, été un peu barons pillards ; bon sang ne peut mentir. Lorsque mes dernières ressources furent à peu près épuisées, mes instincts se réveillèrent et mes regards se fixèrent sur l’Amérique ; en moins de dix ans j’y ai amassé la colossale fortune que j’ai aujourd’hui le bonheur insigne, non pas de dissiper, la leçon a été trop rude et j’en ai profité, mais de dépenser en votre honorable compagnie, tout en ayant soin de conserver intact mon capital.

— Mais, s’écria le comte avec impatience, com-