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l’histoire que je veux vous conter ne sera pas longue, c est la mienne. En deux mots, la voici :

— Je suis complètement ruiné ; il me reste à peine quelques billets de mille francs, avec lesquels à Paris je ne pourrais que mourir de faim, et finir avant un mois par me brûler la cervelle, triste perspective qui n’a rien d’attrayant pour moi, je vous assure. D’un autre côté, j’ai aux armes une adresse tellement malheureuse que, sans qu’il y ait de ma faute, je jouis, à tort ou à raison, d’une réputation de duelliste qui me pèse horriblement, surtout depuis ma déplorable affaire avec ce pauvre vicomte de Morsens, que j’ai été obligé malgré moi de tuer, afin de lui fermer la bouche et de mettre un terme à ses calomnies. Bref, pour les raisons que j’ai eu l’honneur de vous dire, et pour un nombre infini d’autres qu’il est inutile que vous sachiez, et qui, j’en suis convaincu, vous intéresseraient fort peu, la France m’est devenu antipathique, et cela à un tel point que j’ai la plus grande hâte de la quitter. Maintenant, un dernier verre de champagne et adieu à tous.

— Un instant ! répondit le convive, qui déjà avait parlé, vous ne nous avez pas dit comte, dans quel pays vous avez l’intention d’aller.

— Ne le devinez-vous pas ? en Amérique. On m’accorde assez généralement du courage, de l’intelligence, eh bien, je vais dans le pays où, si j’en crois ce qu’on en rapporte, ces deux qualités suffisent pour faire la fortune de celui qui les possède. Avez-vous d’autres questions à m’adresser, baron ? ajouta-t-il en se tournant vers son interlocuteur.

Celui-ci, avant de répondre, demeura quelques minutes plongé dans de sérieuses réflexions. Enfin,