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enseveli sous les décombres ; mon cœur se brisa, je ne voulus pas survivre à tout ce qui m’était cher ; un ami, le seul qui m’était resté fidèle, me sauva ; il m’emmena de force dans sa tribu : c’était un Indien. Là, à force de soin et de dévouement, il me rappela à la vie et me rendit, sinon l’espoir d’un bonheur impossible pour moi, du moins le courage de lutter bravement contre le sort, dont les coups ont été pour moi si rudes. Il est mort il y a quelques mois à peine. Avant de fermer les yeux pour jamais, il me fit jurer de faire ce qu’il me demanderait : je le lui promis. « Frère, me dit-il alors, tout homme doit marcher dans la vie vers un but quelconque ; dès que je serai mort, mets-toi à la recherche de cet ami dont depuis si longtemps tu es séparé ; tu le retrouveras, j’en ai la conviction. Il te tracera une ligne de conduite. » Deux heures plus tard, le digne chef mourut dans mes bras. Aussitôt que son corps eut été rendu à la terre, je me suis mis en route. Aujourd’hui même, comme je vous l’ai dit, je suis arrivé à Guaymas. Mon intention est de m’enfoncer immédiatement dans le désert ; si mon pauvre ami existe encore, c’est là seulement que je dois le retrouver.

Il y eut un long silence.

Enfin, Belhumeur reprit la parole.

— Hum ! tout cela est fort triste, compagnon, je dois en convenir, fit-il en hochant la tête ; vous vous lancez dans une entreprise désespérée où les chances de réussite sont presque nulles ; un homme est un grain de sable perdu dans le désert ; qui sait, en supposant qu’il existe encore, en quel endroit il est en ce moment, et si, pendant que vous le chercherez d’un côté, il ne sera pas d’un autre ? Cependant, j’ai