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cet ami dévoué que je trouvais toujours debout entre le danger et moi, qui m’aimait comme un frère, et pour lequel j’éprouvais une affection filiale ? Hélas ! il est mort peut-être !

En prononçant ces dernières paroles, le Français avait laissé tomber sa tête dans ses mains, et s’était abandonné au flot d’amères pensées qui montaient de son cœur à chaque souvenir qu’il rappelait.

Belhumeur lui lança un regard mélancolique, et lui serrant la main :

— Courage, frère, lui dit-il d’une voix basse et sympathique.

— Oui, reprit le Français, c’est ainsi qu’il me parlait lorsque abattu par la douleur, je sentais l’espoir me manquer ; courage, frère, me disait-il de sa rude voix en me posant la main sur l’épaule, et je me sentais galvanisé par cet attouchement, je me redressais aux accents de cette voix chérie, prêt à recommencer la lutte, car je me sentais plus fort. Plusieurs années se passèrent au milieu d’un bonheur que rien ne vint troubler. J’avais une femme que j’adorais, des enfants charmants pour lesquels je faisais des rêves d’avenir ; enfin, rien ne me manquait, rien que mon pauvre compagnon, dont, malgré toutes mes recherches depuis qu’il m’avait quitté, il m’avait été impossible d’avoir de nouvelles. Maintenant mon bonheur est évanoui pour toujours, ma femme, mes enfants sont morts, lâchement massacrés, pendant leur sommeil, par les Indiens qui s’étaient emparés de mon hacienda. Seul, je demeurai vivant au milieu des ruines fumantes de cette demeure où s’étaient pour moi écoulés de si heureux jours. Tout ce que j’avais aimé était à jamais