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je suis du Canada, moi, et les Canadiens sont les Français d’Amérique, n’est-ce pas ?

— Vous avez raison.

— Ainsi c’est convenu » plus d’espagnol entre nous ?

— Non, du français toujours.

— Bravo ! à votre santé, mon brave compatriote ; et maintenant, ajouta-t-il en reposant brusquement son verre sur la table après l’avoir vidé, voyons votre histoire, je vous écoute.

— Je vous l’ai dit, elle n’est pas longue.

— C’est égal, allez toujours, je suis certain qu’elle m’intéressera énormément.

Le Français étouffa un soupir.

— Moi aussi j’ai fait la vie de coureur des bois, dit-il ; moi aussi, j’ai éprouvé les charmes enivrants de cette existence fiévreuse, pleine de péripéties émouvantes, jamais les mêmes. Bien loin du pays où nous sommes, j’ai parcouru de vastes déserts, d’immenses forêts vierges où avant moi nul homme n’avait laissé l’empreinte de ses pas. Comme vous, un ami m’accompagnait dans mes courses aventureuses, soutenant mon courage, relevant mon énergie par sa gaieté inépuisable et son amitié à toute épreuve. Hélas ! cette époque fut la plus heureuse de ma vie !

Je devins amoureux d’une femme, cette femme je l’épousai. Dès qu’il me vit riche et entouré d’une famille, mon ami me quitta. Je n’avais plus qu’à me laisser vivre, disait-il, il me devenait inutile. Son départ fut mon premier chagrin, chagrin dont jamais je ne me suis consolé, que chaque jour rendit plus cuisant, et qui aujourd’hui me tourmente comme un remords. Hélas ! Où est-il maintenant ce cœur fort,