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et libre de tous liens, sans regret du passé, heureux du présent et sans soucis de l’avenir, je me suis gaiement élancé en avant, emportant avec moi ces richesses inestimables du chasseur : un cœur fort, un caractère gai, de bonnes armes et un cheval habitué comme son maître à la bonne et à la mauvaise fortune, et me voilà. Maintenant, compagnon, vous me connaissez comme si nous étions liés depuis dix ans.

L’autre avait attentivement écouté ce récit, fixant sur le hardi aventurier qui se tenait souriant devant lui, un regard pensif ; il considérait avec intérêt cet homme, au visage loyal, aux traits accentués, dont la physionomie respirait la franchise rude et noble de l’homme réellement bon et grand.

Lorsque Belhumeur se tut, il demeura quelques instants sans répondre, plongé sans doute dans de profondes et sérieuses réflexions ; puis lui tendant par-dessus la table une main blanche, fine et délicate, il lui répondit d’une voix émue, dans le meilleur français qui se soit jamais parlé dans ces régions lointaines :

— Je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée, Belhumeur ; mon histoire n’est pas plus longue, mais elle est plus triste que la vôtre ; la voici en quelques mots :

— Eh ! s’écria le Canadien en serrant vigoureusement la main qui lui était tendue, seriez-vous donc Français, par hasard ?

— Oui, j’ai cet honneur.

— Pardieu ! j’aurais dû m’en douter, reprit-il joyeusement ; quand je songe que depuis une heure nous sommes là bêtement à baragouiner de l’espagnol au lieu de causer dans notre langue, car enfin