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— Vous voyez bien ! Je vais vous donner l’exemple de la confiance et de la franchise.

— Bon ! après ce sera mon tour.

Belhumeur jeta un regard sur l’assemblée : l’orgie avait repris avec une nouvelle force ; il était évident que nul ne songeait à eux. Il appuya les deux coudes sur la table, se pencha vers son compagnon et commença :

— Ainsi que vous le savez déjà, puisque vous l’avez plusieurs fois entendu prononcer, mon cher compagnon, mon nom est Belhumeur[1] ; je suis Canadien, c’est-à-dire presque Français. Des circonstances trop longues à vous raconter en ce moment, mais que je vous dirai quelque jour, m’ont amené tout jeune dans ce pays. Vingt ans de ma vie se sont écoulés à parcourir le désert dans tous les sens ; il n’y a pas un ruisseau perdu, une sente ignorée que je ne connaisse. Je pourrais, si je le voulais, vivre tranquille et sans souci d’aucune sorte auprès d’un ami bien cher, d’un ancien compagnon, retiré dans une magnifique hacienda qu’il possède à quelques lieues d’Hermosillo ; mais l’existence du coureur des bois a des charmes que ceux-là seuls qui l’ont menée peuvent comprendre ; elle les entraîne toujours malgré eux à la reprendre.

Je suis jeune encore, à peine ai-je quarante-cinq ans. Un ancien ami à moi, un Indien, un chef nommé la Tête-d’Aigle, m’a proposé de l’accompagner dans une excursion qu’il voulait faire en Apacheria ; je me suis laissé tenter, j’ai dit au revoir à ceux que j’aime, et qui vainement ont cherché à me retenir,

  1. Voir les Trappeurs de l’Arkansas, 1 vol. in-12, Amyot, éditeur.