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gnard était planté dans la table à la droite du banquier, et deux pistolets reposaient à sa gauche. À quelques pas de là, des hommes et des femmes plus qu’à moitié ivres dansaient en chantant avec des gestes lubriques et des cris furieux aux sons aigres de deux ou trois vihuelas et jarabes. Dans l’angle le plus apparent de la salle, une trentaine de personnes étaient réunies autour d’une table, au milieu de laquelle un jeune enfant de cinq ans au plus était assis sur un siège de cannes. Cet enfant présidait la réunion ; il portait ses plus beaux habits, avait une couronne de fleurs sur la tête, et une profusion de fleurs jonchaient la table autour de lui.

Mais hélas ! le front de cet enfant était pâle, ses yeux vitreux, son teint plombé, marqué de taches violettes ; son corps avait cette roideur des cadavres ; il était mort : c’était l’angelito dont le digne pulquero fêtait l’entrée au ciel.

Des femmes, des hommes et des enfants buvaient et riaient en rappelant à la pauvre mère qui faisait d’héroïques efforts pour ne pas fondre en larmes l’intelligence précoce, la bonté et la gentillesse de la pauvre petite créature qu’elle venait de perdre.

— Tout cela est hideux, murmura le premier voyageur avec un geste de dégoût.

— N’est-ce pas ? répondit l’autre ; ne nous en occupons pas davantage, isolons-nous au milieu de ces coquins qui ne songent déjà plus à nous, et causons.

— Je le veux bien ; mais nous n’avons malheureusement rien à nous dire.

— Peut-être ; d’abord il faut que nous nous connaissions.

— C’est vrai.