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Le comte jeta un regard satisfait autour de lui.

— C’est une triste bouffonnerie, n’est-ce pas, que l’existence, dit-il en éclatant de rire, c’est souvent aussi une lourde chaîne à porter. Combien de fois depuis que nous avons roulé dans cet enfer sans issue, n’avez-vous pas fait tout bas la réflexion qu’en ce moment je fais tout haut, moi ! Eh bien, je vous l’avoue, tant que j’ai eu l’espoir de vous sauver, j’ai lutté avec courage ; cet espoir, je ne l’ai plus. Comme il nous faudra d’ici à quelques jours, à quelques heures peut-être, mourir de misère, je préfère en finir tout de suite. Croyez-moi, imitez mon exemple ; c’est bientôt fait, allez ; vous allez voir.

En disant ces dernières paroles, il sortit un pistolet de sa ceinture.

En ce moment, des cris se firent entendre.

— Qu’est-ce, qu’y a-t-il, que se passe-t-il encore ?

— Voyez ! capitaine, on vient enfin à notre secours ; nous sommes sauvés ! s’écria le sergent Boileau, qui se dressa comme un spectre à ses côtés et lui saisit le bras.

Le comte se dégagea en souriant.

— Vous êtes fou, mon pauvre camarade, dit-il en regardant du côté qu’on lui indiquait, où effectivement on voyait s’élever un tourbillon de poussière qui se rapprochait rapidement. On ne peut pas venir à notre secours ; nous n’avons même pas, ajouta-t-il avec une poignante ironie, la ressource des naufragés de la Méduse ; nous sommes condamnés à mourir dans cet infernal désert. Adieu, tous ! Adieu !

Il leva son pistolet.