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poir hideux ; les uns riaient d’un air hébété, ceux-là étaient les plus heureux, ils ne sentaient pas leur mal, ils étaient fous ; les autres brandissaient leurs armes avec rage, proféraient des menaces et des blasphèmes en élevant le poing vers le ciel, qui, comme une immense plaque de tôle rougie, semblait le dôme implacable de leur tombe de sable ; quelques-uns rendus furieux par la douleur, se faisaient sauter la cervelle en narguant leurs compagnons trop faibles pour suivre leur exemple.

Le Français est peut-être le peuple le plus brave qui existe ; mais, par contre, le plus facile à démoraliser. Si son élan est irrésistible quand il marche en avant, il en est de même quand il recule ; rien ne l’arrête plus, ni les raisonnements, ni les moyens coercitifs : extrême en tout, le Français est plus qu’un homme, ou moins qu’un enfant !

Le comte de Lhorailles assistait, morne et sombre, à la ruine de toutes ses espérances. Toujours le premier à marcher, le dernier à se reposer, ne mangeant une bouchée que lorsqu’il était certain que tous ses compagnons avaient eu leur part, il veillait avec une tendresse et une sollicitude sans égales sur ses pauvres soldats, qui, chose étrange, au fond de l’abîme où ils étaient plongés, ne songeaient pas à lui adresser un reproche.

Des peones de Blas Vasquez, la plupart étaient morts, le reste avait cherché son salut dans la fuite, c’est-à-dire qu’ils avaient été, un peu plus loin, trouver une tombe ignorée ; tous ceux qui demeuraient fidèles au capitaine étaient des Européens, Français pour la plupart, de braves Dauph’yeers, ignorant complètement la façon de combattre et de