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vos paroles, si je n’avais pas contre vous d’autres faits plus graves à articuler.

Le lepero haussa les épaules.

— Je sais, et je puis en donner la preuve, que par vos discours et vos insinuations vous semez la rébellion parmi les peones et les cavaliers de la compagnie. Ce matin avant le réveil, croyant n’être vu de personne, vous vous êtes levé, et avec votre poignard vous avez percé dix outres d’eau sur les quinze qui nous restent ; le bruit que, sans le vouloir, j’ai fait en accourant vers vous, vous a seul empêché de consommer entièrement votre crime. À l’instant où le capitaine nous a donné l’ordre de nous réunir, je me préparais à l’avertir de ce que vous aviez fait. Qu’avez-vous à répondre à cela ? Défendez-vous, si cela vous est possible.

Tous les yeux se portèrent sur le lepero : il était livide ; ses yeux injectés de sang étaient hagards ; avant qu’il fût possible de deviner son intention, il saisit vivement un pistolet et le déchargea à bout portant dans la poitrine du capataz, qui tomba sans proférer un seul mot ; puis, d’un bond de tigre, il s’élança sur un cheval et partit à fond de train.

Il y eut alors un tumulte inexprimable ; chacun s’élança à la poursuite du lepero.

— Sus ! sus ! au meurtrier ! au meurtrier ! s’écriait le capitaine en excitant du geste et de la voix ses hommes à s’emparer du misérable.

Les Français, rendus furieux par cette poursuite, commencèrent à tirer sur lui comme sur une bête fauve ; pendant longtemps on le vit faisant galopper son cheval dans toutes les directions, et cher-