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Il avait à la bouche une fine cigarette de paille de maïs dont il tirait la fumée avec la régularité d’un dandy faisant sa sieste.

Rien n’impose aux masses révoltées comme le courage froid et sans emphase.

Il y eut un temps dans la révolte.

Le capitaine et ses soldats s’examinaient comme deux tigres qui mesurent leurs forces avant de se précipiter l’un sur l’autre pour s’entre-déchirer.

Le comte profita de la seconde de silence qu’il avait obtenue pour prendre la parole.

— Que demandez-vous ? dit-il d’une voix calme, en retirant paisiblement sa cigarette de sa bouche et en suivant du regard le léger nuage de fumée bleuâtre qui montait en tournoyant vers le ciel.

À cette question de leur capitaine, le charme fut rompu ; les cris et les hurlements recommencèrent avec une intensité plus grande qu’auparavant ; les révoltés s’en voulaient à eux-mêmes de s’être laissé dompter un moment par la contenance ferme de leur chef.

Tous parlaient à la fois ; ils entouraient le comte de tous les côtés, le tirant dans tous les sens, afin de l’obliger à les écouter.

Le comte, pressé, serré, bousculé par tous ces drôles, qui avaient oublié toute discipline et étaient sûrs de l’impunité, dans ce pays où la justice n’existe que de nom, ne se décontenança pas, son sang-froid demeura le même. Il laissa pendant quelques minutes ces hommes hurler à leur aise, les yeux injectés de sang et l’écume à la bouche, et lorsqu’il eut jugé que cela avait assez duré, il reprit d’une voix aussi calme et aussi tranquille que la première fois :