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— Hélas ! pauvre enfant, qui peut dire qui nous sommes et ce que nous sommes ? Notre malheureux pays, depuis qu’il a secoué le joug espagnol, se débat convulsivement et s’épuise sous les efforts incessants d’ambitieux de bas étage qui d’ici à peu d’années lui auront ravi jusqu’à cette nationalité que nous avons eu tant de peine à conquérir ; ces luttes honteuses nous rendent la risée des autres peuples et surtout font la joie de nos avides voisins, qui, l’œil invariablement fixé sur nous, se préparent à s’enrichir de nos dépouilles dont ils ont happé quelques bribes en nous enlevant plusieurs de nos riches provinces.

— Mais, mon père, je suis femme, moi, par conséquent en dehors de la politique ; je n’ai rien à voir avec les gringos.

— Plus que vous ne croyez, ma fille. Je ne veux pas qu’à un jour donné les immenses propriétés que mes ancêtres et moi avons acquises à force de travail deviennent la proie de ces hérétiques maudits. Voilà pourquoi, afin de les sauvegarder, j’ai résolu de vous faire épouser le comte de Lhorailles. Il est Français, il appartient à l’une des plus nobles familles de ce pays : de plus c’est un beau et hardi cavalier de trente ans à peine, qui joint aux qualités physiques les qualités morales les plus précieuses ; il appartient à une nation forte et respectée, qui sait, en quelque coin du monde qu’ils se trouvent, protéger ses nationaux. En l’épousant, ta fortune est à l’abri de tout revers politique.

— Mais je ne l’aime pas, mon père.

— Niaiserie, chère enfant. Ne parlons plus de cela ; je veux bien oublier la folie dont il y a quel-