leurs chefs ; ils reconnaissent l’immense supériorité que la force brutale leur donne sur eux, et immédiatement ils abusent de la position que la faiblesse ou l’inertie de leurs chefs leur a faite, non pas pour demander une simple modification, mais toujours pour exiger un changement radical.
Ce fut ce qui arriva dans cette circonstance : dès que le lieutenant se fut éloigné, son départ fut immédiatement considéré comme un triomphe. Les soldats commencèrent à pérorer, influencés, comme toujours, par ceux d’entre eux dont les langues étaient les plus déliées ; il ne s’agissait déjà plus de ne pas entrer dans le désert, mais de nommer d’autres officiers et de retourner sur-le-champ à la colonie ; tout l’état-major devait être changé, et les chefs choisis à l’élection parmi les soldats qui inspireraient le plus de confiance à leurs camarades, c’est-à-dire parmi les plus mauvaises têtes.
L’effervescence était arrivée à son apogée : les soldats brandissaient leurs armes avec fureur, en proférant les plus affreuses menaces contre le comte et ses lieutenants.
Tout à coup la porte s’ouvrit, le comte parut.
Il était pâle, mais calme ; il promena un regard assuré sur la foule mutinée qui hurlait autour de lui.
— Le capitaine ! voilà le capitaine ! crièrent des soldats.
— Tuons-le ! reprirent d’autres.
— À mort ! à mort ! hurlèrent-ils en chœur.
Chacun se précipita sur lui en brandissant des armes et proférant des injures.
Le comte ne recula pas : au contraire, il fit un pas en avant.