Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment et de ne pas risquer d’être pris au dépourvu ; puis, rassuré par le calme qui régnait aux environs, il se coucha, malgré les recommandations du Tigrero, dans le fond de la pirogue, et se prépara à dormir.

Les bruits du combat avaient diminué peu à peu, ils avaient fini par s’éteindre entièrement ; on n’entendait plus ni cris ni coups de feu ; les Indiens, repoussés par les colons, avaient renoncé à leur attaque. Les lueurs de l’incendie devenaient de moins en moins vives ; le désert semblait être complètement retombé dans son silence et sa solitude habituelle.

Le lepero, couché sur le dos dans le fond de la pirogue, regardait les étoiles brillantes qui scintillaient dans le bleu du ciel. Doucement bercé par la houle, il se laissait aller à rêver insoucieusement ; ses yeux se fermaient par intervalle ; enfin, il était arrivé à ce point qui n’est ni la veille ni le sommeil, et n’allait probablement pas tarder à s’endormir, lorsqu’au moment où il s’abandonnait et avant de fermer définitivement les yeux, il jetait par acquit de conscience un dernier regard déjà voilé par le sommeil, sur le paysage, il tressaillit, réprima avec peine un cri de frayeur et se redressa si vivement qu’il manqua de faire chavirer la pirogue.

Cucharès avait eu une vision affreuse ; il se frotta vigoureusement les yeux afin de s’assurer qu’il était bien éveillé, et regarda de nouveau.

Ce qu’il avait pris pour une vision était bien réel ; il avait bien vu.

Nous avons dit que le fleuve charriait un nombre considérable de souches et d’arbres morts encore