Du reste, la position était grave, il fallait toute la résolution dont était doué le Tigrero, et surtout la surexcitation que lui causait le but qu’il voulait atteindre, pour que lui-même ne se laissât pas aller à partager la frayeur qui s’était emparée de son compagnon.
Plus ils avançaient, plus les obstacles croissaient devant eux : obligés à des détours continuels, à cause des arbres qui leur barraient continuellement le passage, ils ne faisaient pour ainsi dire que tourner sur eux-mêmes, contraints de repasser dix fois à la même place et de veiller de tous côtés à la fois, afin de ne pas être chaviré tout à coup par les obstacles visibles ou invisibles qui se dressaient devant eux.
Depuis deux heures environ, ils faisaient cette pénible navigation ; ils approchaient insensiblement de l’hacienda, dont la masse noire se dessinait sur le ciel étoilé. Soudain, un cri terrible, poussé par un nombre considérable de voix traversa l’espace, et une décharge d’artillerie et de mousqueterie éclata comme un tonnerre.
— Sainte Vierge ! s’écria Cucharès en abandonnant les pagaies et en joignant les mains, nous sommes perdus !
— Caraï ! dit le Tigrero, au contraire, nous sommes sauvés ! les Indiens attaquent la colonie, tous les Français sont aux retranchements, nul ne songe à nous surveiller. Hardi ! mon garçon, encore un coup de pagaie et tout est fini.
— Dieu vous entende ! murmura le lepero, en se remettant à pagayer d’une main tremblante.
— Eh ! l’attaque est sérieuse, il paraît. Tant