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— Eh ! observa Cucharès au moment où les chevaux prenaient pied et commençaient à gravir la berge, ne m’aviez-vous pas dit, don Martial, que nous nous rendions à l’hacienda ? Nous n’en prenons pas le chemin, il me semble.

— Il vous semble mal, compagnon ; souvenez-vous de ceci : au désert, il faut toujours avoir l’air de tourner le dos au but que l’on veut atteindre, sous peine de n’arriver jamais.

— Ce qui veut dire ?…

— Que nous allons entraver nos chevaux sous ce bouquet de mesquites et de cèdres-acajous, où ils seront parfaitement en sûreté, et que nous nous dirigerons ensuite vers l’hacienda.

Le Tigrero mit immédiatement pied à terre, conduisit son cheval sous l’abri des grands arbres, lui retira la bride afin qu’il pût brouter, l’entrava avec soin, et retourna vers la plage.

Cucharès, avec cette résolution du désespoir qui, dans certaines circonstances, ressemble à s’y méprendre à du courage, avait de point en point imité les mouvements de son compagnon. Le digne lepero avait définitivement pris un parti héroïque : persuadé intérieurement qu’il était perdu, il se laissait aller à la volonté de sa bonne ou de sa mauvaise étoile, avec ce fanatisme optimiste des métis qui ne peut être comparé qu’à celui des Orientaux.

Nous l’avons dit, ce côté du fleuve était plongé dans l’ombre et le silence, les aventuriers étaient donc provisoirement à l’abri de tout péril.

— Mais, fit encore le lepero, la course est un peu longue d’ici à l’hacienda ; je ne pourrai jamais nager jusque là.