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traint, afin de faire marcher de front les divers incidents qui la remplirent, de passer incessamment d’un personnage à un autre.

Don Martial était riche, très-riche même ; avide d’émotions, doué d’un caractère remuant et d’instincts belliqueux, il n’avait embrassé la profession de tigrero qu’afin de se donner à lui-même un prétexte plausible et un but sérieux à ses courses incessantes dans le désert, que sa vie entière s’était écoulée à parcourir dans tous les sens.

Les tigreros sont ordinairement des coureurs des bois ou des chasseurs émérites qui, pour une certaine rétribution et une prime sur chaque peau, s’engagent avec un haciendero pour tuer les bêtes fauves qui désolent son troupeau.

Ce que les autres faisaient pour de l’argent, lui, il l’accomplissait par goût et simplement pour son plaisir ; aussi était-il fort aimé sur les frontières et surtout fort recherché par tous les hacienderos, qui, à côté de l’adroit et intrépide chasseur, trouvaient encore en lui non-seulement le bon compagnon, mais aussi le caballero.

Don Martial avait, pour la première fois, vu doña Anita à l’époque où le hasard de son existence aventureuse l’avait amené dans une hacienda appartenant à don Sylva, où, dans l’espace d’un mois, il avait abattu une dizaine de bêtes fauves.

Comme le Tigrero épiait constamment la jeune fille qu’il n’avait pu voir sans en devenir éperdûment amoureux, il se trouva qu’un jour où le cheval que montait doña Anita s’était emporté, il se rencontra par hasard assez près d’elle pour la sauver, au risque de périr lui-même.