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Le Français ne répondit rien ; il mordit ses lèvres jusqu’au sang et s’inclina en feignant de ne pas comprendre l’épigramme qui lui était lancée ; il se réservait d’avoir plus tard une explication avec la jeune fille ; car, bien qu’il n’aimât pas sa fiancée, ainsi que cela arrive toujours en pareil cas, il ne lui pardonnait pas d’être aimée par un autre, et surtout de n’avoir pour lui que de l’indifférence ; mais les événements qui depuis deux jours s’étaient précipités avec une rapidité extrême, l’avaient empêché jusqu’alors de demander à doña Anita cette conversation suprême.

La fille de l’haciendero — grand fermier — était une Mexicaine doublée d’Indienne, Andalouse de pied en cap, tout feu et passion, n’obéissant qu’aux mouvements précipités de son cœur. Aimant avec toutes les forces de son âme, sauvegardée par son amour pour don Martial, elle avait jugé le comte de Lhorailles de sang-froid, et avait, sous l’épiderme du gentilhomme, deviné le spéculateur ; aussi son parti avait-il été pris immédiatement, sans arrière-pensée, de se mettre dans l’impossibilité absolue de devenir sa femme. Entamer une lutte ouverte avec son père… elle connaissait trop bien, pour s’y risquer, le vieux sang espagnol qui bouillait dans ses veines : la force des femmes, c’est la faiblesse apparente ; leur moyen de défense, la ruse. Aussi Indienne qu’Espagnole, elle choisit la ruse, cette arme terrible de la femme, et qui la fait quelquefois si redoutable.

Blas Vasquez, le capatas — majordome — de don Sylva, avait vu naître doña Anita ; sa femme lui avait servi de nourrice, c’est-à-dire qu’il était dévoué à la jeune fille, que sur un signe d’elle il aurait vendu son âme au démon.