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— Allons, caballeros, disait-il d’une voix mielleuse, en promenant un regard provocateur sur les misérables, fièrement drapés dans des guenilles, qui le considéraient d’un air presque indifférent, je ne puis gagner toujours, le sort va changer, j’en suis sûr ; voyez, il y a cent onces ; qui les tient ?

Il se tut.

Nul ne répondit.

Le banquier, sans se décourager, fit glisser dans ses doigts une ruisselante cascatelle d’onces dont les fauves reflets étaient capables de donner le vertige au cœur le plus éprouvé :

— C’est un beau denier, cent onces, caballeros ; avec cela, l’homme le plus laid est certain de séduire la plus belle. Voyons, qui les tient ?

— Bah ! fit un lepero avec une moue dédaigneuse ; qu’est-ce que cela, cent onces ? Si vous ne m’aviez pas gagné jusqu’à mon dernier tlaco, Tio-Lucas, je vous les tiendrais, moi.

— Je suis désespéré, seigneur Cucharès, répondit en s’inclinant le banquier que la veine vous ait été si contraire ; je serais heureux si vous daigniez me permettre de vous prêter une once.

— Plaisantez-vous, dit le lepero en se redressant avec orgueil. Gardez votre or, Tio-Lucas, je sais la façon de m’en procurer autant que j’en voudrai, quand bon me semblera ; mais, ajouta-t-il en s’inclinant avec la plus exquise politesse, je ne vous en suis pas moins reconnaissant de votre offre généreuse.

Et il tendit au banquier, par-dessus la table, une main que celui-ci serra avec effusion.

Le lepero profita de l’occasion pour enlever, de la