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La nuit avait succédé au jour, l’obscurité avait envahi le désert, et avec elle le silence de la solitude commençait à régner dans les mystérieuses profondeurs de la Prairie.

L’Indien demeurait toujours immobile, se contentant parfois de tourner la tête vers son cheval, qui broyait gaiement les pois grimpants et les jeunes pousses des arbres.

Cependant la Tête-d’Aigle releva, soudain la tête, pencha le corps en avant, et, sans se déranger autrement, il étendit la main vers son rifle, tandis que le mustang finissait de manger, couchait les oreilles et henissait avec force.

Pourtant la forêt semblait toujours aussi calme ; il fallait toute la finesse d’ouïe de l’Indien pour avoir saisi dans le silence un froissement suspect.

Au bout d’un instant, les sourcils froncés du chef se détendirent ; il reprit sa pose nonchalante, et portant l’index de chaque main à sa bouche, il imita avec une perfection rare, pendant deux ou trois minutes les modulations harmonieuses du centzontle, le rossignol mexicain ; le cheval avait de son côté repris son repas interrompu.

À peine quelques minutes s’étaient-elles écoulées, que le cri de l’épervier d’eau s’éleva à deux reprises dans la direction de la rivière.

Bientôt un bruit de chevaux se fit entendre, mêlé à des craquements de branches et des froissements de feuillage, et deux cavaliers parurent.

Le chef ne se retourna pas pour savoir qui ils étaient : il les avait reconnus probablement et savait qu’eux seuls, ou du moins un des deux, devait le venir joindre.