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LA FIÈVRE D’OR.

bordé rentra peu à peu dans son lit ; en un mot, lorsque la société, fatiguée de luttes mesquines soutenues sans motifs avouables, entretenues seulement afin de satisfaire les ambitions honteuses de quelques hommes sans valeur, eut compris que le rétablissement de l’ordre était la seule voie de salut, tous ces individus qui, pendant quelque temps, avaient joué un rôle plus ou moins important, se trouvèrent tout à coup jetés sans ressources sur le pavé des villes ; car, avec l’imprévoyance inhérente à leurs natures atrophiées, usant au jour le jour des faveurs que l’aveugle fortune leur avait à pleines mains prodiguées, ils n’avaient rien conservé pour les temps mauvais, naïvement convaincus que l’état de choses qu’ils avaient fait durerait toujours.

Pendant quelques mois ils luttèrent, non pas courageusement, mais opiniâtrement, contre l’adversité, cherchant, par tous les moyens, à ressaisir la proie qu’ils avaient si sottement laissé échapper.

Mais bientôt ils furent contraints de reconnaître que les temps étaient changés, que leur heure était passée, et que le sol qui jusqu’alors les avait soutenus manquait de toutes parts sous leurs pas et menaçait de les engloutir à jamais.

La position devenait critique pour eux ; reprendre leurs humbles et paisibles occupations, rentrer dans le néant dont un fou caprice du hasard les avait tirés, cela était impossible ; l’idée ne leur en vint même pas.

Ils avaient goûté du luxe, des honneurs ; ils ne pouvaient plus, ils ne voulaient plus travailler.