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LA FIÈVRE D’OR.


Sin penà vivamos
En calma feliz,
Gozar es mi estrella,
Cantar y reir[1].

— Bravo ! s’écria le colonel, qui arrivait en ce moment auprès du chanteur, bravement et joyeusement dit, compagnon.

Celui-ci, la cigarette de maïs à la bouche, baissa affirmativement la tête, râcla intrépidement une ritournelle quelconque sur sa jarana ; puis, la rejetant sur son épaule, où elle se trouva retenue par une espèce de bretelle, il se tourna enfin vers son interlocuteur, et ôtant cérémonieusement son chapeau de poil de vigogne :

— Dieu vous protége ! caballero, dit-il poliment ; il paraît que la musique vous plaît ?

— Beaucoup, répondit le colonel, qui retint avec peine un fou rire à l’aspect du singulier personnage qu’il avait devant lui.

Cet original était un grand gaillard de vingt-huit ans au plus, d’une maigreur extraordinaire, vêtu d’un costume en lambeaux, et drapé fièrement dans un manteau dont il était impossible de reconnaître la couleur primitive, et qui était troué comme un écumoir et piteusement effiloqué.

Cependant, malgré cette misère apparente et sa figure affamée, cet homme avait dans la physionomie une expression joyeuse et décidée qui faisait

  1. Sans chagrin vivons
    Dans un calme heureux ;
    Jouir est mon étoile,
    Chanter et rire.