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LA FIÈVRE D’OR.

Le capitaine jeta son cigare, poussa deux ou trois hum ! sonores et dit enfin d’une voix brève :

— Sebastian, mon ami, crois-tu que si ton brave père pouvait revenir en ce monde, il serait fort satisfait de te voir perdre aussi insoucieusement le temps précieux de ta jeunesse ?

— Je ne comprends pas du tout ce que vous me voulez dire, capitaine.

— C’est possible ; je n’ai jamais eu la prétention d’être un grand orateur, et aujourd’hui moins qu’à toute autre époque de ma longue carrière. Je vais cependant tâcher de m’expliquer de façon à être tellement clair, que si tu ne me comprends pas, carai ! c’est que tu y mettras de la mauvaise volonté.

— Allez, je vous écoute.

— Ton père, muchacho, dont probablement tu ignores à peu près l’histoire, était à la fois un brave soldat et un bon officier ; il fut un des fondateurs de notre liberté, et son nom est pour tous les Mexicains un symbole de loyauté et de dévouement. Pendant dix ans, ton père a combattu les ennemis de sa patrie sur tous les champs de bataille, endurant, lui riche et gentilhomme, les plus dures privations, souffrant la faim, la soif, le chaud et le froid gaiement et sans se plaindre ; lui qui, s’il l’eût voulu, aurait pu mener, grâce à son immense fortune, la vie la plus élégamment luxueuse et la plus exempte de soucis d’aucune sorte. Tu aimais ton père, n’est-ce pas ?

— Hélas ! capitaine, pourrai-je jamais me consoler de sa perte ?

— Tu t’en consoleras ; tu as encore bien des choses à apprendre, celle-là et d’autres. Pauvre garçon,