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LA FIÈVRE D’OR.

— Mais peut-être vous trompez-vous.

— Hélas ! non, madame, don Luis a été victime d’affreux malheurs ; jugez-en vous-même : il adorait une femme qui l’avait rendu père de plusieurs enfants charmants ; une nuit les Indiens surprirent son hacienda, l’incendièrent, massacrèrent sa femme, ses enfants, toute sa famille, enfin ; et lui-même n’échappa que par miracle.

— Oh ! c’est horrible ! s’écria-t-elle en cachant sa tête dans ses mains. Pauvre homme ! maintenant je lui pardonne du fond du cœur ce que ses manières semblaient avoir de singulier. Hélas ! la société de ses semblables doit lui peser.

— Oui, madame, elle lui pèse, sans doute, car la douleur qu’il éprouve est de celles qui ne se peuvent consoler ; et pourtant, lorsqu’il sait une infortune à soulager, un bien quelconque à faire, il s’oublie lui-même pour ne plus songer qu’à ceux qu’il veut secourir.

— Oui, vous avez raison, caballero, cet homme est un noble cœur.

— Hélas ! madame, je resterais toujours au-dessous de la vérité dans ce que je vous dirais de lui ; il faut vivre de sa vie, être continuellement à ses côtés pour le bien comprendre et l’apprécier à sa juste valeur.

Il y eut quelques instants de silence.

La nuit s’avançait, les bougies commençaient à pâlir ; la camérista, qui n’avait à toute cette conversation qu’un fort médiocre intérêt, avait renversé sa tête sur le dossier de la butacca qui lui servait de siége, ses yeux s’étaient fermés et elle s’était bravement endormie, mais de ce sommeil de chat parti-