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LA FIÈVRE D’OR.

Tous ses auditeurs le remerciaient du plaisir qu’il leur avait procuré avec ces démonstrations bruyantes et ces cris de joie qui distinguent les races méridionales. L’Espagnol ne savait à qui entendre ni de quel côté se tourner ; les acclamations prenaient un tel caractère d’enthousiasme que le chanteur commençait à redouter de ne pouvoir de toute la nuit se débarrasser de son frénétique auditoire.

Heureusement pour lui, au moment où, moitié de gré moitié de force, il se préparait, à la demande générale, à recommencer son romance, il se fit un mouvement dans la foule, elle s’écarta à droite et à gauche et livra passage à une grande et belle jeune fille aux traits mutins, à l’œil noir bien ouvert, bordé de longs cils de velours, à la jambe faite au tour emprisonnée dans un bas de soie à coins d’or, qui, le rebozo (voile) coquettement drapé et la chevelure inondée d’une profusion de fleurs de jasmin, se posa résolûment devant le chanteur, en lui disant avec un gracieux sourire qui laissa voir la double rangée de perles de ses dents :

— N’êtes-vous pas, caballero, un noble hidalgo d’Espagne nommé don Cornelio.

Nous devons rendre à don Cornelio cette justice d’avouer qu’il fut tellement ébloui par cette délicieuse apparition qu’il resta pendant quelques secondes les yeux effarés et la bouche ouverte sans trouver un mot.

La jeune fille frappa du pied avec impatience.

— Avez-vous donc été subitement métamorphosé en pierre ? reprit-elle d’un ton légèrement moqueur.

— Dieu m’en garde ! señorita, dit-il enfin.