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LA FIÈVRE D’OR.

soutenue, le corps penché en avant et les yeux obstinément fixés sur lui. Don Cornelio se félicitait intérieurement de l’effet qu’il s’imaginait produire sur cette nature primitive, lorsque soudain Curumilia, le saisissant par les hanches, le serra dans ses mains nerveuses comme dans des tenailles de fer, et l’enlevant avec autant de facilité que s’il n’eût été qu’un enfant, il l’emporta malgré sa résistance jusque dans le patio, et le déposant sur la margelle du puits :

— Ooah ! fit-il, ici la musique est bonne ; et sans rien ajouter, il tourna le dos à l’Espagnol, regagna le cuarto, s’étendit sur son zarapé et s’endormit immédiatement.

Dans le premier moment, don Gornelio fut tout étourdi de cette brusque attaque, et ne sut s’il devait rire ou se fâcher de la façon assez leste dont son compagnon s’était débarrassé de sa société ; mais don Cornelio était un philosophe doué d’un excellent caractère. Ce qui lui arrivait lui sembla si drôle, que, sans garder autrement rancune à l’Indien, il se laissa aller à un rire homérique qui dura plusieurs minutes.

— C’est égal, dit-il, lorsqu’il fut enfin parvenu à reprendre son sérieux, l’aventure est curieuse, et j’en rirai longtemps. Après cela, cet homme n’a pas tout à fait tort ; je suis ici on ne peut mieux placé pour chanter et pincer ma jarana autant que cela me fera plaisir ; au moins je ne risque d’interrompre le sommeil de personne, puisque je suis seul.

Et, après cette consolation, qu’il s’administrait à lui-même pour satisfaire son orgueil un peu froissé, il se disposa à continuer sa sérénade.