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LA FIÈVRE D’OR.

Don Cornelio, au contraire, après avoir pendu la lampe à un clou fiché dans la muraille, avait ravivé la mèche charbonneuse avec la pointe de son couteau, s’était assis sur le bord de son cuadro, les jambes pendantes en dehors, puis, d’une voix éclatante, il avait imperturbablement commencé le romance du roi Rodrigo.

À cette musique tant soit peu hors de saison, Curumilla avait à demi ouvert un œil, sans cependant protester autrement contre cette perturbation insolite de son repos.

Don Cornelio s’était ou ne s’était pas aperçu de la protestation de l’Indien, mais, dans un cas comme dans l’autre, il n’en tint aucun compte et continua en donnant à sa voix assez forte toute l’étendue qu’elle comportait.

— Ooah ! fit le chef en relevant la tête.

— Je savais bien, répondit don Cornelio avec un sourire amical, que cette musique vous plairait.

Et il redoubla ses fioritures.

L’Araucan se leva, s’approcha du chanteur, et lui touchant légèrement l’épaule :

— Il faut dormir, lui dit-il de sa voix gutturale, avec une grimace de mauvaise humeur.

— Bah ! laissez donc, chef, la musique délasse de tout, elle fait oublier le sommeil ; Écoutez, plutôt :

¡Oh si yo naciera ciego !
¡O tù sin beldad nacieras !
Maldito sea el punto y[1]

L’Indien paraissait l’écouter avec une attention

  1. Oh ! si j’étais né aveugle !
    Ou bien si tu étais née laide !
    Maudit soit le jour et l’heure…