Page:Aimard - La Fièvre d’or, 1860.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
LA FIÈVRE D’OR.

choses difficiles : savoir arranger sa vie, et savoir arranger sa mort. L’homme qui se tue froidement en se brûlant la cervelle, tout seul dans sa chambre, après avoir écrit à ses amis pour leur annoncer son suicide, est un lâche ou un fou. Ce n’est pas de ce suicide-là que je veux, il ne signifie rien, ne prouve rien et ne sert à rien. Mais il est un genre de suicide que j’ai toujours rêvé parce qu’il est noble et grand : c’est celui de l’homme qui, ne pouvant ou ne voulant plus rien faire d’une vie qu’il méprise, la sacrifie à ses semblables, sans autre but que celui de leur être utile, et tombe après avoir accompli sa tâche.

— Je crois te comprendre, Valentin.

— Peut-être ; laisse-moi terminer. Nous sommes dans le pays le mieux préparé pour un tel but : déjà plusieurs tentatives, malheureuses à la vérité, ont était faites, notamment par le comte de Lhorailles, dans sa colonie de Guetzalli[1] ; la Sonora, qui est la plus riche contrée du monde, râle et achève de mourir sous le système avilissant et inintelligent du gouvernement mexicain. Eh bien ! rendons la vie à ce pays ; galvanisons-le, appelons à nous l’émigration française de Californie, et venons ici rendre la liberté à un peuple dont le caractère énergique nous comprendra. Que risquons-nous en cas de non succès ? la mort ? Eh ! mais c’est justement elle que nous désirons. Au moins, lorsque nous serons tombés, nous dormirons ensevelis dans notre gloire, en martyrs, emportant les regrets et les sympathies

  1. Voir la grande Flibuste, 1 vol. in-12, chez Amyot, éditeur, 8, rue de la Paix, à Paris.