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L’ÉCLAIREUR.

cellule, c’est-à-dire peu d’instants avant la scène que nous avons précédemment rapportée, l’abbesse était assise dans un grand fauteuil à dossier droit surmonté de la couronne abbatiale, et dont le siège en cuir doré était garni d’une double frange de soie et d’or.

Cette abbesse était une petite femme replette, grassouillette, d’une soixantaine d’années, dont les traits auraient paru sans expression sans le regard clair et perçant qui s’échappait comme un jet de lave de ses yeux gris lorsqu’un sentiment violent l’agitait. Elle tenait à la main un livre ouvert et semblait plongée dans une profonde méditation.

La porte de la cellule s’ouvrit doucement : une jeune fille, revêtu du costume de novice, s’avança timidement en effleurant à peine le parquet de son pas léger et craintif Cette jeune fille alla se placer devant le fauteuil et attendit silencieusement que l’abbesse levât les yeux sur elle.

— Ah ! vous voici, mon enfant, dit enfin la supérieure en s’aperçevant de la présence de la novice, approchez !

Celle-ci s’avança de quelques pas encore.

— Pourquoi êtes-vous sortie ce matin sans m’en avoir demandé la permission ?

En entendant cette parole à laquelle cependant la jeune fille devait s’attendre, elle se troubla, pâlit et balbutia quelques mots inintelligibles.

L’abbesse reprit d’une voix sévère :

— Prenez garde, niña, quoique vous ne soyez encore que novice et que vous ne deviez prendre le voile que dans quelques mois, comme toutes vos compagnes, vous ne dépendez que de moi, de moi seule.

Ces mots furent prononcés avec un accent et une intonation qui firent frémir la jeune fille.

— Ma sainte mère ! murmura-t-elle.

— Vous étiez l’amie intime, presque la sœur de cette