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L’ÉCLAIREUR.

canaux ne sont plus visibles, ils existent toujours sous le sol, et dans certains bas quartiers où on les a transformés en égouts, ils se révèlent par l’odeur fétide qu’ils exhalent ou bien encore par des amas d’ordures et des eaux stagnantes et croupissantes.

Le sergent, après avoir si lestement réglé ses comptes avec le malheureux évangelista, avait traversé la place dans toute sa largeur et s’était enfoncé dans la calle de la Monterilla.

Il marcha assez longtemps dans les rues, du même pas tranquille qu’il avait adopté en sortant de l’échoppe de l’évangelista. Enfin, après une course de vingt minutes environ à travers des carrefours déserts et des ruelles sombres dont l’apparence misérable devenait à chaque pas plus menaçante, il s’arrêta devant une maison d’apparence plus que suspecte, au-dessus de la porte de laquelle, derrière un retablo de las animas benditas brûlait un candil fumeux ; les fenêtres de cette maison étaient éclairées et sur l’azotea des chiens de garde hurlaient lugubrement à la lune. Le sergent frappa deux coups à la porte de cette sinistre demeure avec le cep de vigne qu’il tenait à la main.

On fut assez longtemps à lui répondre ; les cris et les chants cessèrent subitement dans l’intérieur ; enfin le soldat entendit un pas lourd qui se rapprochait : la porte fut entr’ouverte, car, ainsi que cela se pratique partout à Mexico, une chaîne de fer soutenait les vantaux, et une voix avinée dit d’un ton bourru :

Quien es ? — Qui est-ce ?

Gente de paz, répondit le sergent.

— Hum ! il est bien tard pour courir la tuna et entrer au velorio ! reprit l’autre, qui semblait se consulter.

— Je ne veux pas entrer.

— Que diable demandez-vous alors ?

Pan y sal ! por los cabelleros errantes[1], répondit le

  1. Mot à mot : Pain et sel pour les cavaliers errants.