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L’ÉCLAIREUR.

— Je commence, dit-il d’une voix humble.

— C’est bien heureux, reprit l’autre d’un ton bourru.

— Vous saurez donc ; mais, observa-t-il en se reprenant, faut-il entrer dans tous les détails ?

— Demonios ! s’écria le soldat avec colère, finissons en une fois pour toutes, tous savez que je veux avoir les renseignements les plus complets ; canarios ! ne jouez pas avec moi, comme un chat avec une souris ; vieillard, je vous en avertis, ce jeu serait dangereux pour vous.

L’évangelista s’inclina d’un air de conviction et reprit :

— Donc ce matin, j’étais à peine installé dans mon officina ; j’arrangeais mes papiers et je finissais de tailler mes plumes, lorsque j’entendis frapper discrètement à ma porte ; je me levai, j’allai ouvrir : c’était une femme jeune et belle, autant que je pus en juger, car elle était embossada dans sa manta noire, de façon à ne pas être reconnue.

— Ce n’était donc pas la femme qui depuis un mois vous vient trouver chaque jour ? interrompit le soldat.

— Si, mais comme vous l’avez sans doute remarqué, à chacune de ses visites elle a soin de changer de costume afin, sans doute, de se rendre méconnaissable ; mais malgré ces précautions, je suis trop habitué aux finesses des femmes pour me laisser tromper, et je l’ai reconnue au premier regard que me lança son œil noir.

— Très-bien ; continuez.

— Elle demeura un instant silencieuse devant moi, Jouant avec son éventail d’un air embarrassé, je lui offris poliment un siège feignant de ne pas la reconnaître et lui demandant à quoi je pouvais lui être bon. — Oh ! me répondit-elle d’une voix mutine, je voudrais une chose bien simple. — Parlez, señorita, s’il s’agit de mon ministère, croyez bien que je me ferai un devoir de vous obéir. — Serais-je venue sans cela ? me répondit-elle ; mais êtes-vous un homme auquel on puisse se fier ? Et en disant cela,