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L’ÉCLAIREUR.

L’évangélista sourit d’un air agréable en jetant un regard de convoitise sur les onces.

— Je sais trop ce que je vous dois, don Annibal, dit-il, pour ne pas chercher à vous satisfaire par tous les moyens dont je dispose,

— Trêve de momeries et d’hypocrites politesses, vieux singe, et venons au fait. Prenez d’abord ceci, cela vous encouragera à être sincère.

Il lui mit dans la main quelques onces, que l’évangelista fit disparaître avec une prestesse si grande, qu’il fut impossible au soldat de savoir où elles étaient passées.

— Vous êtes généreux, don Annibal, cela vous portera bonheur.

— Au fait, au fait

— M’y voici.

— J’écoute.

Et le sergent s’accouda sur la table, dans la position d’un homme qui se prépare à écouter un récit intéressant, tandis que l’évangelista toussait, crachait, et par une vieille habitude de prudence, bien qu’il se trouvât seul avec le soldat dans son échoppe, jetait un regard soupçonneux autour de lui.

Les bruits de la plaza Mayor s’étaient éteints les uns après les autres, la foule s’était dispersée dans toutes les directions et était rentrée dans ses demeures, le plus grand silence régnait au dehors ; en ce moment onze heures sonnèrent lentement à la cathédrale, les deux hommes tressaillirent malgré eux aux sons lugubres de l’horloge ; les serenos chantèrent l’heure de leur voix traînarde et avinée, puis ce fut tout.

— Voulez-vous parler, oui ou non ? s’écria brusquement le soldat avec un accent de menace.

— L’évangelista fit un bond sur sa butaca, comme s’il se réveillait en sursaut, et passant à plusieurs reprises la main sur son front :