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L’ÉCLAIREUR.

jeune, beau, fort, hardi ; l’autre vieux, cassé et hypocrite ; tous deux se lançant à le dérobée des regards d’une expression indéfinissable, et, sous une apparente cordialité, cachant probablement une haine profonde, se parlant à voix basse, oreille contre oreille, semblaient deux démons conspirant la perte d’un ange.

Ce fut le soldat qui le premier reprit la parole d’une voix faible comme un souffle, tant il paraissait redouter d’être entendu.

— Voyons, Tio Leporello, dit-il, entendons-nous ; la demie vient de sonner au Sagrario, ainsi parlez ; qu’avez-vous appris de nouveau ?

— Hum ! fit l’autre, pas grand chose d’intéressant.

Le soldat lui lança un regard soupçonneux et parut réfléchir.

— C’est juste, dit-il au bout d’un instant, je n’y songeais plus ; où donc ai-je la tête ?

Il fouilla dans sa poitrine et de la poche de son uniforme il sortit d’abord une bourse assez bien garnie, à travers les mailles de soie verte de laquelle étincelait l’or d’un nombre considérable d’onces, puis une longue navaja qu’il ouvrit et plaça sur la table auprès de lui. Le vieillard tressaillit à la vue de la lame acérée dont l’acier bleuâtre lançait des éclairs sinistres ; le soldat ouvrit la bourse et fit ruisseler en joyeuses cascades les pièces devant lui. L’évangelista oublia instantanément le couteau pour ne plus s’occuper que de l’or, attiré malgré lui comme par un aimant irrésistible par le chatoiement du métal.

Le soldat avait fait tout ce que nous venons de dire avec le sang-froid d’un homme qui sait posséder entre les mains des arguments irrésistibles.

— Ça ! reprit-il, fouillez dans votre mémoire, vieux démon, si vous ne voulez pas que ma navaja vous apprenne à qui vous avez à faire au cas où vous l’auriez oublié.