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L’ÉCLAIREUR.

Il y eut un mouvement de chaise dans l’intérieur ; le soldat entendit le bruit d’une clef dans une serrure, puis la porte s’entre-bailla et l’évangelista parut, avançant timidement la tête.

— Eh ! C’est vous, don Annibal ; Dios me ampare ! je ne vous attendais pas aussitôt, dit-il de cette voie pateline et traînante que certains hommes emploient lorsqu’ils se sentent entre les mains d’un individu plus fort qu’eux.

— Cuerpo de Christo ! faites donc l’innocent, vieux coyote, répondit rudement le sergent ; qui donc, si ce n’est moi, oserait mettre le pied dans votre bouge maudit.

L’évangélista ricana en hochant la tête et relevant sur son front ses lunettes d’argent à verres ronds :

— Eh ! eh ! fit-il en toussottant d’un air mystérieux, bien des gens ont recours à mon ministère, beau chérubin d’amour.

— Possible, répliqua le soldat en le repoussant sans cérémonie et entrant dans l’échoppe ; ceux-là je les plains de tomber entre les mains d’un vieil oiseau de proie comme vous ; mais moi, ce n’est pas cela qui m’amène.

— Peut-être vaudrait-il mieux pour vous et pour moi que vos visites eussent un autre motif que celui qui vous conduit ici ? hasarda timidement l’évangelista.

— Trêve de sermon, fermez votre porte, mettez les volets pour que nul ne nous voie du dehors, et causons, nous n’avons pas de temps à perdre.

Le vieillard ne répliqua pas ; il s’occupa immédiatement, avec une célérité dont on ne l’aurait pas cru capable, de fermer les volets qui, la nuit, défendaient son échoppe contre les entreprises des rateros ; puis il vint s’asseoir auprès de son hôte, après avoir soigneusement verrouillé la porte en dedans.

Ces deux hommes, vus ainsi à la lueur d’un candil fumeux, formaient entre eux un étrange contraste : l’un