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L’ÉCLAIREUR.

turiers s’occupaient, les uns à panser leurs blessures, les autres à ouvrir de larges tranchées pour enterrer les morts.

Sous le saguan de l’habitation, sur des bottes de paille recouvertes de zarapés, deux hommes et une femme étaient étendus. La femme était morte, c’était doña Luisa. La pauvre enfant, dont toute la vie n’avait été qu’une longue abnégation et un continuel dévouement, s’était bravement fait tuer par don Estevan, au moment où elle-même brûlait la cervelle à Addick, qui enlevait doña Laura.

Les deux hommes étaient don Mariano et Balle-Franche.

Don Miguel et Laura se tenaient chacun d’un côté du vieillard, épiant avec inquiétude l’instant où il rouvrirait les yeux.

Bon-Affût, triste et le front pâle, était penché sur son vieux camarade qui allait mourir.

— Courage, lui disait-il, courage, frère, ce n’est rien !

Le Canadien essaya de sourire.

— Hum ! je sais ce qui en est, répondit-il d’une voix entrecoupée ; j’en ai encore pour dix minutes au plus, et puis après, dam !…

Il se tut un instant et sembla réfléchir.

— Dites moi, Bon-Affût, reprit-il, croyez-vous que Dieu me pardonnera ?

— Oui, mon digne ami, car vous étiez une vaillante et bonne créature !

— J’ai toujours agi selon mon cœur. Enfin, on dit que la miséricorde de Dieu est infinie ; j’espère en lui.

— Espérez, mon ami, espérez !

— C’est égal, je savais bien que les Indiens ne me tueraient jamais ; vous le voyez, c’est ce don Estevan qui m’a blessé ; mais je lui ai fendu le crâne à cet assassin de jeunes filles ! Misérable ! j’aurais dû le laisser mourir dans sa fosse, comme un loup au piège.