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L’ÉCLAIREUR.

pas, tout demeurait calme et silencieux. En vain le chasseur cherchait à voir une ombre, si légère qu’elle fut, un bruit presque imperceptible ; rien ne troublait la majesté du sanctuaire.

Cependant, Bon-Affût ne s’était pas trompé, il avait distinctement entendu un pas frôler timidement les dalles du temple. Il faut s’être, une fois dans sa vie, rencontré dans une position identique à celle dans laquelle se trouvait le chasseur pour bien en comprendre les angoisses et les terreurs. Sentir près de soi, à deux pas peut-être, un ennemi qui vous guette, dont l’œil féroce est implacablement fixé sur vous ; savoir qu’il est là, le deviner par cette espèce d’intuition que Dieu a donnée à l’homme pour prévoir un danger, et n’oser bouger, craindre de faire le moindre mouvement qui l’avertisse que vous l’attendez ; cette position, comparée à celle de l’oiseau fasciné par le reptile, est des plus cruelles et, en quelques minutes, devient un supplice tellement intolérable que la mort même lui est préférable.

Certes, Bon-Affût était un homme d’un courage à toute épreuve : l’entreprise qu’il tentait en ce moment démontrait chez lui une témérité, je ne dirai pas poussée jusqu’à la mort, ce qui ne serait rien, mais jusqu’au mépris de ces tortures atroces que les Peaux-Rouges sont si ingénieux à inventer et à varier pour faire palpiter les chairs de leurs victimes et extraire pour ainsi dire la vie goutte à goutte de leur corps en lambeaux. Eh bien, après un quart d’heure de l’attente terrible dans laquelle il se tenait, il se sentit frissonner malgré lui, ses cheveux se dressèrent sur son crâne, et une sueur froide perla ses tempes.

— Mille millions de démons ! murmura-t-il intérieurement, vais-je donc me laisser égorger ainsi ? Vive Dieu ! je veux savoir à quoi m’en tenir, quoi qu’il arrive.

Au même instant, comme poussé par un ressort, il se dressa sur ses pieds, un pistolet de chaque main.