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L’ÉCLAIREUR.

— Non, reprit-il au bout d’un instant, le Loup-Rouge et Addick ne sont pas des traîtres !

Le chasseur sembla réfléchir un instant, puis il s’écria d’un ton résolu qui en imposa à l’Indien :

— Non, en effet, ces deux chefs ne sont pas des traîtres, mais ils sont en passe de le devenir avant peu ; les dangers qui nous menacent, ce sont eux qui les ont amassés sur nos têtes pour satisfaire leurs passions et leur soif de vengeance.

— Que mon frère s’explique, s’écria le chef au comble de l’étonnement. Ses paroles sont graves.

— J’ai eu tort de les prononcer, reprit le chasseur avec une feinte humilité. Je ne suis qu’un homme pacifique, auquel le Wacondah tout-puissant a donné la mission de soulager, selon la science qu’il lui a accordée, les maux de l’humanité ; je ne dois pas, faible arbrisseau, chercher à déraciner le chêne noueux dont le poids, en tombant, suffirait pour me renverser. Que mon frère me pardonne, je me suis imprudemment laissé emporter par mon indignation.

— Non, non, s’écria le chef en lui serrant le bras avec force, cela ne peut être ainsi ; mon père a commencé, il faut qu’il termine et qu’il me dise tout.

Avec cette promptitude de conception qui le distinguait, le chasseur avait subitement conçu tout un plan fondé sur la méfiance qui forme le fond du caractère indien ; il feignit de résister aux injonctions du chef et de ne pas vouloir entrer dans de plus grands détails sur ce qu’il avait laissé entrevoir ; mais plus le soi-disant médecin s’obstinait à ne rien dire, plus le chef, de son côté, insistait pour le faire parler. Enfin le chasseur feignit de se laisser intimider par les prières mêlées de menaces que lui faisait son hôte, et, tout en protestant de la crainte qu’il avait de s’attirer la haine de deux chefs renommés, il consentit enfin à donner les renseignements qui lui étaient demandés avec tant d’insistance.