Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
337
L’ÉCLAIREUR.

Le Canadien attendit un instant ; voyant enfin que don Miguel s’obstinait à garder le silence :

— N’avez-vous rien à me dire ? reprit-il.

— Pourquoi m’adressez-vous cette question ? lui demanda le jeune homme en tressaillant.

— Parce que, répondit le chasseur, ce n’est pas seulement afin de jouir plus longtemps de ma compagnie que vous êtes venu jusqu’ici, don Leo ; vous devez, je le répète, avoir quelque chose à me dire.

— Oui, c’est vrai, fit-il avec effort, vous avez deviné, j’ai à vous parler ; mais je ne sais comment cela se fait, ma gorge se serre, je ne puis trouver de paroles pour vous exprimer ce que j’éprouve. Oh ! si j’avais votre expérience et votre connaissance des langues indiennes, nul autre que moi, je vous assure, Bon-Affût, ne serait allé à Quiepaa-Tani.

— Oui, cela doit être ainsi, murmura le chasseur, se parlant à lui-même plutôt que répondant à son ami ; et pourquoi ne serait-ce pas ? l’amour est le soleil de la jeunesse ; tout aime dans le monde : pourquoi deux êtres beaux et bien faits resteraient-ils seuls insensibles l’un pour l’autre et ne s’aimeraient-ils pas ? Que voulez-vous que je lui dise pour vous, ajouta-t-il brusquement.

— Oh ! s’écria le jeune homme, vous vous êtes donc aperçu que je l’aimais ? Ce secret, que je n’osais m’avouer à moi-même, vous en êtes donc le maître ?

— Ne craignez rien pour cela, mon ami ; ce secret est aussi en sûreté dans mon cœur que dans le vôtre.

— Hélas ! mon ami, les paroles que je voudrais lui dire, ma bouche seule pourrait les prononcer avec l’espoir de les faire peut-être parvenir à son cœur. Ne lui dites rien, cela vaudra mieux ; seulement, apprenez-lui que je suis ici, que je veille sur elle, et que je mourrai ou qu’elle sera libre bientôt dans les bras de son père.