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L’ÉCLAIREUR.

Au même instant une dizaine d’Indiens s’élancèrent de derrière les buissons, se précipitèrent sur le cadavre, l’enlevèrent dans leurs bras, et disparurent avec la rapidité d’une légion de fantômes.

Un calme subit, une tranquillité inouïe succédèrent à l’agitation extrême et aux cris désordonnés qui, quelques minutes auparavant, faisaient retentir les échos.

— Pauvre diable ! murmura Bon-Affût en replaçant son rifle dans le fond de la pirogue et en saisissant une paire de pagaies, je suis fâché de ce qui lui est arrivé ; je crois qu’ils en ont assez ; maintenant qu’ils connaissent la portée de mon rifle, il nous laisseront tranquilles.

Le chasseur avait calculé juste : en effet, les Peaux-Rouges ne donnèrent plus signe de vie.

Ce que nous disons là n’a rien qui doive surprendre le lecteur : chaque pays comprend l’honneur à sa façon ; les Indiens ont pour principe de ne jamais s’exposer inutilement à un danger quelconque. Pour eux, le succès seul peut justifier leurs actions ; aussi, dès qu’il ne se jugent pas les plus forts, ils renoncent sans honte, avec la plus grande facilité, aux projets qu’ils avaient conçus et préparés pendant de longues semaines.

Les aventuriers doublèrent enfin la pointe de l’île.

La seconde pirogue se trouvait déjà fort loin derrière eux ; quant à celles qu’ils avaient aperçues en premier, elles n’apparaissaient plus que comme des points presque imperceptibles à l’horizon. Lorsque les Peaux-Rouges de la deuxième pirogue avaient vu que les aventuriers avaient pris sur eux une avance qu’il leur était impossible de regagner et qu’ils leur échappaient définitivement contre leurs prévisions, ils avaient fait une décharge générale de leurs armes ; impuissante démonstration qui ne blessa personne, car les balles et les flèches tombèrent à une distance considérable des blancs ; puis ils virèrent de bord, afin de