Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
L’ÉCLAIREUR.

d’effroi à l’apparition imprévue de Balle-Franche pâle, sanglant, les vêtements en désordre.

Le chasseur s’était arrêté à l’entrée de la tente, chancelant et promenant autour de lui des yeux hagards, tandis que peu à peu son visage prenait une expression de douleur et de profond découragement.

Tous ces hommes, habitués à la vie accidentée du désert, dont le courage, incessamment mis aux plus rudes épreuves, ne s’étonnait de rien, se sentirent cependant frémir intérieurement et eurent le pressentiment d’un malheur.

Balle-Franche demeurait toujours immobile et muet.

Don Miguel, le premier, rappela sa présence d’esprit et parvint à reprendre assez de puissance sur lui-même pour interpeler le nouveau venu.

— Qu’avez-vous, Balle-Franche ? lui demanda-t-il d’une voix qu’il cherchait vainement à affermir : de quelle fâcheuse nouvelle vous êtes-vous fait le porteur auprès de nous ?

Le Canadien passa à plusieurs reprises le revers de sa main sur son front inondé de sueur, et, après avoir jeté un dernier regard circulaire et soupçonneux autour de lui, il se décida enfin à répondre d’une voix basse et inarticulée :

— J’ai à vous annoncer une nouvelle terrible !

Le cœur de l’aventurier se serra ; cependant il domina son émotion, et, d’une voix calme avec un soupir résigné :

— Qu’elle soit la bien venue, car nous ne pouvons en apprendre d’autre ; parlez donc, mon ami, nous vous écoutons.

Balle-Franche hésita, une rougeur fébrile envahit son visage ; mais faisant un effort suprême :

— Je vous ai trahi ! dit-il, lâchement trahi !