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L’ÉCLAIREUR.

de conviction, que Laura en demeura surprise et leva les yeux sur son amie qui se sentit instinctivement rougir sous le poids de ce regard investigateur.

Laura n’ajouta rien, mais elle se demanda en elle-même quelle pouvait être la nature du sentiment qui poussait son amie à prendre la défense d’un homme qu’elle n’attaquait pas et auquel elle, Luisa, n’avait que de médiocres obligations et qu’elle connaissait à peine.

Depuis ce jour, comme par un accord tacite, il ne fut plus parlé de don Miguel, son nom ne fut plus prononcé entre les jeunes filles.

Il est un fait étrange et qui pourtant est d’une vérité incontestable, c’est que, de quelque pays qu’ils soient et à quelque religion qu’ils appartiennent, les prêtres sont continuellement dévorés du désir de faire des prosélytes quand même. Le Amanani de Quiepaa-Tani ressemblait en cela à tous ses confrères. Il n’avait garde de laisser échapper l’occasion qui semblait se présenter à lui de convertir les deux Espagnoles à la religion du Soleil. Doué d’une haute intelligence, foncièrement convaincu de l’excellence du principe religieux qu’il professait, de plus ennemi acharné des Espagnols, il conçut le projet, dès qu’il fut chargé par Addick de veiller sur les jeunes filles, d’en faire des prêtresses du Soleil. En Amérique, il ne manque pas d’exemples de conversions de cette nature, ce qu’elles peuvent avoir de monstrueux pour nous n’a rien qui ne paraisse tout naturel en ce pays.

Le Amanani dressa ses batteries en conséquence. Les jeunes filles ne parlaient pas l’indien ; lui, de son côté, ne savait pas un mot d’espagnol ; mais cette difficulté énorme en apparence fut vite tournée par le grand-prêtre. Il se trouvait allié à un guerrier renommé appelé Atoyac, celui-là même qui faisait sentinelle à la porte de la ville lors de l’arrivée de Addick. Cet homme avait épousé une Indienne