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L’ÉCLAIREUR.

— J’en suis fâché ; je vous demanderai alors la permission de dîner seul ; car, au contraire de vous, caballero, je vous confesse que je me meurs littéralement de faim.

— Je serais désespéré de vous occasionner le moindre retard.

— Domingo ! cria le capitaine, mon dîner !

L’aventurier que le cheval de l’inconnu avait si rudement secoué ne tarda pas à arriver en traînant la jambe, et portant, dans une écuelle en bois, le souper de son chef ; quelques tortillas de maïs, qu’il tenait à la main, complétaient ce repas d’une sobriété presque claustrale.

Domingo était un métis indien, à l’air rechigné, aux traits anguleux et à la physionomie sournoise ; il paraissait avoir à peu près cinquante ans, autant qu’il est possible de juger de l’âge d’un Indien par l’apparence ; depuis sa mésaventure avec le cheval, Domingo gardait rancune à l’inconnu.

Con su permiso, dit le capitaine en rompant une tortilla.

— Je fumerai une cigarette, ce qui sera encore vous tenir compagnie, répondit l’étranger avec son éternel sourire.

L’autre s’inclina poliment et attaqua son maigre repas avec cette vivacité qui dénote une longue abstinence.

Nous saisirons cette occasion pour faire au lecteur le portrait du chef de la caravane.

Don Miguel Ortega, noms sous lesquels il était connu de ses compagnons, était un élégant et beau jeune homme de vingt-six ans au plus, au teint bronzé, aux traits fins, à l’œil fier et brillant, dont la taille élevée, les membres bien attachés, la poitrine large et bombée dénotaient une rare vigueur. Certes, dans toute l’étendue des anciennes colonies espagnoles, il aurait été difficile, sinon impossible, de rencontrer un plus séduisant cavalier, portant