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L’ÉCLAIREUR.

Le chasseur, quoiqu’il eût la conviction d’avoir accompli un devoir en condamnant don Estevan, était triste cependant, en songeant à la responsabilité qu’il avait assumée sur lui dans cette affaire.

Autre chose est tuer un homme dans un combat, en défendant sa vie, au milieu de l’enivrement de la bataille, et juger et exécuter froidement un individu contre lequel on n’a aucun motif personnel de haine ou de colère.

Le vieux Canadien redoutait intérieurement les reproches de don Mariano ; il connaissait trop bien le cœur humain pour ne pas savoir que le gentilhomme, dès qu’il envisagerait de sang froid l’action qu’il avait excité les gambucinos à commettre, la détesterait, et maudirait ceux qu’il avait trouvés trop dociles à le servir.

Quelque grands que fussent les torts de don Estevan envers don Mariano, si criminelle que fût sa conduite, ce n’était pas à son frère à l’accuser, et surtout a requérir sa mort de ces hommes implacables chez lesquels tous sentiments de clémence sont éteints, par suite de la rude vie qu’ils sont contraints de mener.

Maintenant que plusieurs heures s’étaient écoulées depuis la condamnation de don Estevan, Bon-Affût, chez lequel la réflexion était arrivée, et lui avait permis d’envisager cette action sous un jour différent, en était venu à se demander tout bas s’il avait réellement le droit d’agir ainsi qu’il l’avait fait, et si ce qu’il prenait pour un acte de sévère et stricte justice n’était pas un assassinat et une vengeance déguisée : aussi s’attendait-il à ce que don Mariano, en le voyant, lui adressât des reproches et lui demandât compte de la vie de son frère.

Le chasseur se prépara à répondre aux questions que sans doute don Mariano allait lui faire ; et, dès qu’il l’aperçut, son front, déjà assailli de tristes pensées, se rembrunit encore. Mais Bon-Affût s’était trompé : pas un re-