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L’ÉCLAIREUR.

n’est pas probable, le chef a trop grande hâte de rejoindre sa tribu pour s’amuser à perdre son temps ici ; allons toujours.

Sur ce, il jeta son rifle sur l’épaule, et se remit en route d’un pas léger et délibéré, sans cependant négliger complètement les précautions usitées au désert dans toute marche ; car, la nuit, hommes ou fauves, les coureurs des bois savent qu’ils sont toujours surveillés par des ennemis invisibles.

Balle Franche atteignit ainsi la lisière de la clairière où s’étaient passées les scènes dramatiques que nous avons rapportées dans la première partie de cette histoire, et au centre de laquelle il ne restait plus en ce moment qu’un homme enterré vivant, face à face avec ses crimes, sans espoir de secours possible et abandonné de la nature entière, sinon de Dieu. Le chasseur s’arrêta, s’étendit sur le sol, et regarda.

Un silence funèbre, silence de la tombe, planait sur la clairière ; don Estevan les yeux agrandis par la peur, la poitrine oppressée par la terre qui se tassait autour de son corps par un mouvement lent et continuel, sentait l’air manquer peu à peu à ses poumons ; ses tempes battaient à se rompre, le sang bouillonnait dans ses artères, des gouttelettes d’une sueur glacée perlaient à la racine de ses cheveux ; un voile sanglant s’étendait sur sa vue, il se sentait mourir.

À ce moment suprême, où tout lui manquait à la fois, le misérable poussa un cri rauque et déchirant : deux larmes jaillirent de ses yeux brûlés de fièvre ; sa main comme nous l’avons dit, se crispa nerveusement sur la crosse du pistolet laissé pour abréger son supplice, et il appuya le canon à sa tempe en murmurant avec un accent de désespoir indicible :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! pardonnez-moi !